Pourquoi les milieux socioculturels modestes sont-ils peu à peu exclus de notre système ?
Quelles questions faut-il se poser à propos de notre système scolaire ? J’ai commencé à m’intéresser de près au système scolaire français depuis quarante ans environ, au moment de l’entrée en vigueur de l’enseignement des maths modernes en sixième. J’ai pressenti, à cette époque, que les enfants de milieux socioculturels modestes allaient payer au prix fort le coût de réformes initiées pour des raisons idéologiques. J’ai d’ailleurs écrit, dans le journal syndical de la fédération de la chimie CGC (confédération générale des cadres), que j’avais comme voisin de chambrée à Polytechnique un fils de mineur polonais du Nord-Pas-de-Calais et, qu’à mon avis, il n’y en aurait plus dans l’avenir.
Victimes de la baisse de qualité de l’enseignement général.
Mon pronostic s’est révélé globalement justifié : il y a dans mon école et d’une manière générale dans les grandes écoles trois fois moins d’élèves d’origine sociale modeste qu’à mon époque. Dix ans plus tard, dirigeant l’école supérieure de chimie industrielle de Lyon, de 1978 à 1989, je constatais que certains de mes élèves, qui avaient de façon évidente été excellents au lycée et dans les deux premières années après le baccalauréat, traînaient de curieuses lacunes en français et en raisonnement arithmétique, ce qui est notoirement lié. Ne parlons même pas de la baisse de la culture générale, qui était quasiment… générale !
L’école, partenaire indispensable de la famille face à un problème complexe.
Si j’ai participé depuis dix-huit ans à la création de trois associations différentes, concernées par la déliquescence de notre système scolaire – École éducation et culture Alcuin, Lire et écrire, Éducation-solidarité –, c’est que j’estimais que l’école est un partenaire incontournable de la famille pour l’instruction mais aussi pour l’éducation des enfants, adolescents et jeunes gens. Je reçois régulièrement des courriers de parents et de grands-parents, très affectés par les dégâts causés par le système scolaire à leurs enfants et petits-enfants. Face à l’ampleur du problème, les possibilités de solutions satisfaisantes pour remédier aux difficultés rencontrées restent marginales. Les formules de prévention sont rares, souvent coûteuses ou géographiquement inaccessibles aux intéressés. En outre, les raisons pour lesquelles un enfant ou un adolescent connaît de graves mécomptes dans le système scolaire sont multiples car chaque élève est une personne unique, conditionnée par sa famille, son milieu, son histoire, ses particularismes génétiques, et chaque enseignant est, lui aussi, unique avec ses propres conditionnements !…
« Déjacobiniser le système »
Finalement c’est cette complexité du problème, qui permet d’entrevoir les pistes de solution, dont la première réside dans le constat qu’un système national, jacobin, qui se veut égalitaire, ne peut qu’échouer à répondre à la diversité des besoins et des situations. L’illusion qui consiste à croire que le système scolaire « Éducation nationale » est le plus juste, parce qu’il est gratuit, ne résiste pas au constat de la baisse constante des acquis des diplômés et de la hausse du nombre des échecs à tout passage de diplômes. L’autre illusion, c’est de croire qu’il est le moins coûteux parce qu’il est gratuit pour les parents. M’étant livré à un petit travail de comptabilité analytique, quand je dirigeais l’école de chimie de Lyon, j’avais chiffré le prix de revient de la formation d’un élève de chaque cycle et type d’enseignement. En tenant compte du nombre d’élèves scolarisés par l’Éducation nationale j’en avais déduit qu’il était possible de faire des économies de l’ordre de 25 à 30 % en généralisant la « déjacobinisation » du système par la mise en place du chèque scolaire. ( voir notre chronique sur cette proposition du chèque scolaire.)
P. Y. Bonnet