Expérience personnelle en usine.
A vrai dire, ni le dépaysement ni le changement de fonction n’étaient vraiment déstabilisant. Ce qui me frappait le plus, c’était le changement des mentalités. Notamment la curieuse habitude chez beaucoup de passer beaucoup de temps de présence au bureau, particulièrement au-delà de 18h.
En usine, ce n’était pas le snobisme du temps passé qui nous guidait, mais les nécessités réelles de la production. Prévenir les pannes et les accidents, remettre en route rapidement après un arrêt, améliorer la qualité des produits, soigner la productivité pour faire baisser les prix, tout cela nous laissait des périodes de récupération en alternance avec d’autres de « bourre » intense. On pouvait aussi bien se retrouver au tennis à 17h15 que passer une soirée et une nuit de galère.
Une goutte qui fait déborder le vase.
Au bout d’un quart d’heure, l’exaspération commence à me gagner ; au bout d’une demi-heure, je bous littéralement. Au prix d’un énorme effort, je maîtrise mon impatience, me contentant de poser quelques questions, naïves en apparence mais en fait perfides, puisqu’elles mettaient en évidence l’improvisation coupable de ladite réunion…ce qui a pour effet bénéfique de la faire tourner court.
Explication avec le patron.
Le lendemain, je vais trouver mon patron pour lui expliquer que j’ai la faiblesse de beaucoup aimer ma femme et ( à l’époque) mes six enfants. Que cela me conduit à passer le plus de temps possible avec eux et à rendre le maximum de services à celle qui se consacre entièrement à sa famille. Que je ne considère pas comme de mon devoir professionnel de perdre mon temps et de lui faire perdre le sien ( à mon patron) en étant dans l’impossibilité d’apporter des éléments utiles à sa réflexion faute d’avoir pu étudier à l’avance les questions qu’il se posait. Que nous devrions trouver sans difficulté les moyen de nous organiser pour travailler avec une totale efficacité à l’intérieur des horaires normaux, sauf bien sûr cas de force majeure, mon passé dans la maison prouvant ma disponibilité totale dans une telle situation, etc. Tout ceci dit avec le sourire, la plus exquise courtoisie…et la plus grande fermeté.
La pédagogie exigeant la répétition, je ne me suis pas fait faute, dans les semaines suivantes, de faire savoir urbi et orbi la conception que j’avais de la juste place du travail.
Au travail, il faut donner toute sa place et rien que sa place.
Mais attention à l’esclavage et à l’idolâtrie, deux fléaux devenus trop souvent la norme dans nos entreprises.
D’ailleurs, la qualité du travail en pâtit. Dans la servitude, on perd toute créativité. Dans l’idolâtrie, on perd toute ouverture. Le travail n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il laisse la place à la vie spirituelle et à la vie relationnelle, particulièrement à la vie familiale. Quand les idôlatres du travail réduisent en esclavage leurs colaborateurs, c’est la descente aux enfers de la récession et du chômage qui s’amorce.
Il y a trente-cinq ans, on en était aux prémices ; aujourd’hui, on s’est enlisé dans les mauvais comportements. Les résultats sont là.
P. Y. Bonnet