Un essor impressionnant de 1919 à 1940.
-La grève d’Halluin ( 1928-1929)
-Le plan de la CFTC ( 1936)
-La représentativité ( 1936 à 1939) : une bataille difficile.
Nous détaillons ici les événements de la grève d’Halluin qui permettent de comprendre le contexte de l’époque et l’enjeu du syndicalisme chrétien soutenu par l’Eglise en la personne d’un jeune évêque qui sut appliquer sur le terrain la Doctrine Sociale de l’Eglise, malgré son surnom « d’évêque rouge »! ( source : histoire de la ville d’Halluin )
La grève d’Halluin et le cardinal Lienart.
Nommé évêque de Lille le 6 octobre 1928, alors que débute une grève qui, pendant sept mois, allait se poursuivre à Halluin, Monseigneur Achille Liénart participe au financement de la caisse des chômeurs, et usera également de son influence pour trouver une solution au conflit. La légende de « l’évêque rouge » se fait jour.
Les anciens Halluinois se souviennent certainement d’un des premiers actes du jeune évêque de Lille. En 1928, il apporte son soutien aux grévistes d’une manière spectaculaire et publique : 1000 F sont versés par lui à la souscription en faveur des grévistes ; mais son action ne s’arrête pas là…
Les syndicalistes chrétiens recevaient un appui exceptionnel de la part de l’Eglise officielle. L’émotion fut intense et la presse accorda une large place au geste de l’évêque de Lille. Cette prise de position, ainsi que son attitude à l’égard des ouvriers, devaient lui valoir maintes critiques de la part du patronat ; mais le 16 juin 1930, l’élévation au cardinalat de « l’évêque rouge » apportait la caution de Pie XI.
Ces évènements eurent un grand retentissement dans les milieux chrétiens de France, dans la mesure où l’autorité religieuse prenait ouvertement parti pour des chrétiens engagés dans l’action syndicale.
L’historien Pierre Pierrard rappelait dans un ouvrage que « Les grandes grèves d’Halluin en 1929 marquèrent un tournant décisif dans l’histoire du catholicisme social, orienté dorénavant vers la promotion ouvrière ».
Le conflit des établissements Sion : l’autorité religieuse prend parti pour les chrétiens engagés dans les syndicats.
Les mécaniciens font grève afin d’obtenir une augmentation de salaire horaire de 0,50 F. Elle leur est accordée dans toutes les branches sauf dans le textile.
Le syndicat unitaire, au cours d’un meeting organisé le 20 septembre 1928, décide la grève générale. Gilbert Declercq prend la parole au Parc des sports devant 2.000 personnes et prêche la solidarité ouvrière.
Les syndicats libres décident unanimement de se joindre au mouvement de grève. Elle devient donc générale. Le 23, un jeudi, les grévistes organisent une marche vers Roubaix où se déroulent leur meeting. Un patron déclare : « Nous ne pouvons plus céder ; quand bien même la résistance communiste devrait durer six mois, nous ne capitulerons pas ».
Déjà on sent que le conflit sera dur et long. Les premiers incidents se manifestent les jours suivants. Alors que l’autorisation leur a été accordée de faire un cortège dans Halluin à condition de ne pas haranguer la foule, les responsables communistes prennent la parole. La gendarmerie à cheval charge.
Cela se passe le dimanche 26.
Le conflit s’étend, et le 28 septembre on compte à Halluin 7.039 grévistes sur 7.480 travailleurs.
Et le conflit se prolonge (il durera sept mois). Chacun des adversaires durcit ses positions. Les incidents se multiplient et s’aggravent.
Une grenade est déposée devant la maison du commissaire de police. Des grévistes sont condamnés pour entrave à la liberté du travail.
Après un meeting de la C.G.T.U. au Parc des sports, les grévistes se dirigent vers l’usine Sion, jettent des pierres et font fuir ceux de leurs camarades qui avaient repris le travail.
Le 25 février 1929, un non-gréviste qui rentrait chez lui, revenant du cinéma, est matraqué ainsi que sa femme. Le 9 du même mois, des individus recouvrent de goudron la porte de la demeure du maire d’Halluin.
En février, cinquième mois de grève , la misère commence à être le lot de nombreuses familles ouvrières halluinoise. Les syndicats ne disposent pas d’assez de ressources pour verser une allocation à leurs adhérents. Beaucoup partent vers les syndicats belges, qui eux pouvaient verser 120 F par mois aux ouvriers en grève.
Les meneurs décident alors d’organiser une collecte en faveur des familles des grévistes.
Dans les « Notes confidentielles » du consortium patronal de Roubaix-Tourcoing on lit :La liste des souscriptions nous fournira de précieux renseignements : des noms, des adresses, qui seront un répertoire utile ».
C’est alors qu’éclate une énorme surprise. En tête de la liste des souscripteurs que publie le 21 février le « Journal de Roubaix », on trouve un nom : Mgr Liénart, évêque de Lille, et ces quelques mots en « faveur de ceux qui ont manifesté leur esprit chrétien en demandant l’arbitrage, et pour venir en aide à leur détresse ».
L’évêque de Lille dans cette même lettre en date du 17 février 1929, écrivait aussi : « J’ai rempli mon devoir de charité en venant au secours de la misère physique. Quand un conflit social en vient à menacer des vies et des santés humaines, la charité doit aller au secours des misères. Elle n’a pas à se demander qui a tort et qui a raison ».
La position du clergé halluinois, emmené par le curé-doyen de Saint-Hilaire (pendant 28 ans 1903-1931) Emile Deram, parue dans le bulletin paroissial du 24 février 1929 et intitulée :
« A propos d’une souscription »,
« En mon nom personnel et au nom de MM. Les vicaires, je tiens à dire combien je regrette qu’on ait inscrit dans le numéro de « La Croix du Nord » et du « Journal de Roubaix » portant la date du 17 février et sous la mention « Le Clergé d’Halluin » la somme qui n’avait été versée par nous que pour soulager de grandes misères qui pouvaient nous être inconnues et à condition que le secours restât anonyme.
Plus que jamais dans un conflit aussi grave que celui qui s’est produit chez nous, nous avons le devoir de ne point prendre position afin de ne pas paraître nous ériger en juges.
Je tiens essentiellement à dire que je veux, comme par le passé, rester ici l’homme de tous, tendant chrétiennement une main aux patrons et l’autre aux ouvriers, afin de les unir, autant que possible, dans une collaboration pacifique et fraternelle pour le plus grand bien matériel et moral de notre chère cité ».
Aussi les syndicats libres avaient demandé l’arbitrage de M. le Préfet du Nord. Mais celui-ci avait été refusé par Désiré Ley, secrétaire du consortium, qui niait toujours le fait syndical, et accusait en particulier les syndicats libres d’être d’esprit révolutionnaire. Un rapport envoyé au Vatican les accuse de n’avoir rien de chrétien.
Les dirigeants syndicaux d’Halluin, qui ont nom Arthur Houte, Verkindère, sont en situation très inconfortable. Depuis un premier conflit aux Ets Sion, ils ont rompu leurs relations avec les syndicats patronaux. Ils sont méprisés par la C.G.T., qui ne leur pardonne pas d’avoir donné l’ordre de reprendre le travail au cours d’une grève précédente. Et la hiérarchie catholique n’a pas encore explicité sa position sur le problème du syndicalisme chrétien.
Pourtant, la réflexion est profonde au Vatican. Le cardinal Sbaretti possède tous les éléments d’une enquête menée par E. Duthoit et par le père Danset (originaire d’Halluin). Dès le 5 juin 1928, une réponse de l’église est rédigée. Le conflit étant à ce moment trop vif, le Pape préfère retarder sa publication officielle.
Mais Mgr Liénart a reçu cette réponse. Nommé au siège de Lille le 6 octobre 1928, il connaît bien le conflit, qui oppose syndicats et patronal chrétien, pour avoir été curé-doyen de Saint-Christophe à Tourcoing.
Son premier geste spectaculaire de soutien aux grévistes est suivi d’une lettre parue dans la « Semaine religieuse de Lille » du 3 mars 1929, dans laquelle il s’explique : « J’ai reconnu la voix de l’âme chrétienne dans cette demande d’arbitrage formulée par les syndicats libres (…) ; l’arbitrage est un moyen, supérieur à la lutte sans merci (…) ; ceux qui le proposent et l’acceptent, sans savoir à qui l’arbitre donnera raison, font un geste que l’Eglise et la conscience approuvent »… « Si les communistes seuls donnent des secours à leurs adhérents, nos chrétiens, dans une extrême misère, seront tentés de s’inscrire dans leurs rangs ». Le nouvel évêque prend nettement position en faveur des grévistes.
Et c’est encore lui qui sera à l’origine de la rencontre décisive. Le 2 avril, il offre sa médiation : il facilite une entrevue entre Désiré Ley et les dirigeants des syndicats libres… en les laissant en tête-à-tête. L’entrevue se solde par un succès.
Le 15 avril, les patrons font connaître leurs positions : le « Journal de Roubaix » du 18 publie le texte selon lequel les patrons modifient le règlement d’atelier et admettent le principe des relations entre syndicats patronaux et ouvriers.
Halluin, le 15 avril 1929, a été le théâtre de cet évènement d’une importance considérable : l’appui donné par l’Eglise au syndicalisme chrétien. Et le jeune évêque de Lille y a beaucoup contribué en personne.
Ce fameux conflit Sion se déroula entre le 1er mars 1928 et le 15 avril 1929.
Les évènements halluinois eurent un grand retentissement dans les milieux chrétiens de France, dans la mesure où l’autorité religieuse prenait ouvertement parti pour des chrétiens engagés dans l’action syndicale.
Cette étape permit au syndicalisme chrétien et à la CFTC de prendre son essor.
Le plan de la CFTC
Le 15 mai 1936 eut lieu la publication du « Plan CFTC » qui propose un salaire minimum, les allocations familiales, la réduction de la durée du travail, des logements sociaux, les conventions collectives, etc.
Dans l’entre-deux-guerres, deux tendances s’affirment dans le syndicalisme : le syndicat instrument de la révolution politique ou bien le syndicat fer de lance pour transformer la société. La première se définit parfois comme révolutionnaire, la seconde est réformiste. La première est celle de la CGT, la seconde, celle de la CFTC. Les deux confédérations s’opposent violemment en 1936. Dans une ambiance surchauffée, la CFTC défend l’indépendance syndicale et la liberté du travail.
En 1937, la CFTC compte 2000 syndicats et 400 000 adhérents. ( source : site de la CFTC )
La représentativité syndicale, une difficile et longue bataille.
La CFTC dut s’affronter avant la seconde guerre mondiale à cette question qui n’a rien perdu de son actualité. La notopn de représentativité pour un syndicat est complexe de part le fait qu’il n’y a pas de mandat express de la part de chaque salarié ou de la collectivité du travail. La CFTC réussit à devenir l’un des cinq syndicats représentatifs en France , selon des règles de représentativité qui évoluèrent et continuent d’évoluer. Etant donné qu’après la guerre, la sission qui donna naissance à la CFDT ( 1964) priva la CFDT pendant longtemps d’un » patrimoine syndical » , on trouve alors un problème classique d’une institution chrétienne dont le succès s’étend à la société et à la démocratie, aux dépends de l’identité chrétienne. La CFTC choisit de conserver sa dénomination et ses racines chrétiennes tandis que la CFDT, dotée du même patrimoine, préféra se défaire de l’appellation chrétienne. Ce type de conflit se retrouve souvent dans les associations chrétiennes d’origine travaillant dans le domaine social ( enseignement, domaine de la santé, etc). Ce sera tout l’enjeu des années soixantes, et au travers d’une représentativité syndicale, le problème d’une représentativité chrétienne dans la société.