Comprendre Caritas in Veritate (1)

CARITAS IN VERITATE et Populorum Progressio

Comprendre Caritas in Veritate (1)

Cette troisième Encyclique de Benoît XVI est un véritable monument, une construction que, seule, peut bâtir une intelligence pétrie d’amour de Dieu et de profonde humilité. Pour un familier de la doctrine sociale de l’Eglise, elle confirme cet enracinement dans la théologie morale qui en fait un champ d’action de la vertu théologale de charité. Elle rappelle à tous les catholiques que participer à l’édification de la civilisation de l’amour n’est pas facultatif mais obligatoire en conscience, particulièrement pour les laïcs. Elle leur en donne les raisons, les motifs, les principes directeurs de l’action et en actualise les domaines à mettre en chantier.

Introduction

 

Caritas Christi urget nos.

La longue introduction de l’Encyclique est tout entière consacrée à montrer qu’il ne faut jamais séparer Amour et Vérité. La référence fondamentale réside en la personne du Christ qui dit : « Je Suis la Vérité » et qui témoigne par sa vie et par sa mort en croix qu’Il est Amour. L’homme en prend conscience en contemplant l’humanité du Christ mais également en découvrant le projet d’amour de Dieu sur lui, en y adhérant, en prenant conscience que son bonheur est dans l’abandon à la volonté divine.

L’amour donne le vrai sens de la relation de l’homme avec Dieu et avec le prochain. Il inclut les exigences de la vie morale et implique un discernement du bien et du mal. Il implique donc la quête permanente de la vérité pour authentifier la charité et ceci aussi bien dans les relations de proximité (famille, amis) que dans les « macro-relations » politiques, économiques et sociales.

L’amour sans la vérité se corrompt dans la sentimentalité et le tout-affectif. Il devient une coquille, qui se remplit arbitrairement au gré des modes, des émotions, des ressentis, des conditionnements culturels de l’époque.

L’amour donné est un amour reçu, celui qui jaillit du Père pour le Fils dans l’Esprit. Le Fils est venu nous donner cet amour et Il est répandu dans l’Eglise par l’Esprit Saint. Les hommes, enfants et sujets de cet amour, en deviennent les promoteurs en se mettant dans la société humaine au service de la charité dans la vérité. Sans la vérité, affirme Benoît XVI, et nous le constatons, l’agir social devient la proie d’intérêts privés, soumis à des logiques de pouvoirs, ce qui désagrège la solidité dans la voie de la mondialisation actuelle. Benoît XVI rappelle, (comme « Fides et ratio » l’encyclique de Jean-Paul II), que la vérité provient de la foi mais qu’elle implique la raison humaine et qu’Elle lui est accessible.

La charité dépasse la justice mais elle ne peut exister sans elle. Ce qui confirme les exigences morales de la doctrine sociale de l’Eglise. Les droits légitimes des personnes et des peuples doivent être satisfaits au nom de la justice, ce qui permet à l’amour d’y ajouter don, gratuité, pardon, compassion, miséricorde et profonde communion.

Dès lors, s’impose la notion de « bien commun », qui inclut tous les besoins réels des personnes, biens spirituels, moraux, culturels, économiques, écologiques…etc. agir pour le bien commun favorise l’édification de la cité de Dieu en même temps qu’elle procure paix et unité à la cité des hommes.

Hommage à Populorum Progressio

 

Paul VI

Cette longue introduction de l’encyclique se termine par un hommage appuyé à Paul VI et à son Encyclique « Populorum progressio » qu’il publie deux ans à peine après la fin du Concile de Vatican II. Benoît XVI considère « Populorum progressio » comme la nouvelle « Rerum Novarum », nécessitée par les changements intervenus entre le milieu du 19ème siècle et celui du 20ème siècle. Son prédécesseur Jean-Paul II a d’ailleurs fêté en 1987, pour son 20ème anniversaire, cette encyclique (Populorum progressio) par la publication de « Sollicitudo Rei socialis » avant de clôturer en 1991, en quelque sorte pour son centenaire, l’ère « Rerrum novarum », la première encyclique de la doctrine sociale de l’Eglise.

Autrement dit, la doctrine sociale de l’Eglise a traité 100 ans de l’époque « moderne » et depuis Paul VI et « Populorum progressio » elle s’est attaquée à ce qu’on appelle parfois la période « post moderne ».

Et, de fait, c’est à la fin des années 60 que peu à peu l’économie des pays développés sort du « rationnement » des biens matériels pour entrer dans la société de consommation et cela coïncide avec une mondialisation des échanges qui croît après la 2ème guerre mondiale. L’Eglise n’a pas de solution à donner pour permettre d’atteindre des objectifs de développement et elle ne veut pas s’immiscer dans la politique des états mais elle veut remplir sa mission de vérité, garantie de la vraie liberté et donc d’un développement humain intégral, en accueillant les savoirs et les compétences, d’où qu’ils viennent.

Ainsi se termine l’introduction de l’encyclique dont les 6 chapitres peuvent se traiter en 2 fois. Les deux premiers chapitres font reprendre « Populorum Progressio » pour en rappeler le message souvent prophétique, puis le réactualiser quarante ans plus tard. Les quatre chapitres suivants montreront les chantiers à traiter, qui découlent de cette analyse.

« Populorum progressio », hier et aujourd’hui.

 

Réactualiser un message et le transmettre, le travail des papes dans les encycliques sociales.

« Populorum progressio » (1967) est dans la ligne de la constitution pastorale « Gaudium et Spes » du concile (1965). Désormais, dit Paul VI, la question sociale est mondiale et les institutions ne prennent pas en compte le développement de « tout l’homme ». Il dénoncera d’ailleurs en 1971 (Octogesimo Adveniens) les courants technocratiques et idéologiques qui mutilent le développement. Les uns absolutisent la technique, les autres la discréditent abusivement (la pseudo-écologie qui éliminerait volontiers l’homme pour préserver la déesse nature !)

Benoît XVI, à l’inverse, montre que Paul VI a lié au développement l’ouverture à la vie (Humanae Vitae 1968) et l’annonce de l’Evangile (Evangelii nuntiandi 1975). Le développement intégral est un appel de Dieu, une vocation pour l’homme, ce qui suppose un régime de liberté et de responsabilité. De ce fait, le développement implique une exigence de vérité et d’amour, sinon on constate un déficit de fraternité.

Réactualisation de Populorum Progressio

 

Tout cela, dit Benoît XVI, n’a pas vieilli mais quarante ans après il faut le réactualiser et treize points vont être abordés.

1 – « L’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître ». Autrement dit, le profit est utile comme moyen mais ce n’est pas une fin. Quand le profit devient la fin, cela conduit à la spéculation financière, au gaspillage des ressources financières et naturelles, à l’inflation des flux migratoires provoqués mais mal gérés.

2 – Le développement est mondial mais multipolaire. La richesse croit mais les inégalités augmentent. Elles font coexister dans les pays les plus pauvres la surconsommation de certains avec la misère des plus nombreux dans un climat de gaspillage, de corruption et de non respect des lois. Les scandales viennent tant des multinationales que des entreprises locales, les aides internationales sont détournées dans l’irresponsabilité des donateurs comme des bénéficiaires.

3 – Les états n’ont plus toutes les clés en main (Pie XI en 1931 dans Quadragesimo Anno avait déjà soulevé la question). Il faudra donc réévaluer leur rôle et mobiliser davantage les citoyens au-delà des frontières.

4 – Les systèmes de protection sociale sont à bout de souffle et la délocalisation favorise la non – protection. Quant aux syndicats leur force de contrepoids est en baisse, ce qui est favorisé par l’individualisme issu de la société de consommation.

5 – La mobilité du travail, le chômage et la dérégulation, engendrent l’instabilité psychologique, la peur, la difficulté à construire sa vie tant dans le domaine professionnel que dans le domaine personnel (précarité des unions, baisse du mariage)

6 – Dans le domaine de la culture, c’est pire : nivellement par le bas, absence d’esprit critique, relativisme, conformisme, priorité au commercial !

7 – Les ressources naturelles ne manquent pas mais la faim fait de nombreuses victimes en raison des carences sociales, politiques et institutionnelles. Tous les hommes ont droit à l’eau, à l’alimentation, à la terre pour cultiver, etc.

8 – L’expérience montre que l’accueil de la vie rend dynamique et créatif. Or c’est une mentalité antinataliste, qui s’est souvent répandue, avec l’incitation de certaines ONG, qui facilitent contraception et stérilisation. Certains pays légalisent l’euthanasie et l’avortement, instaurent le contrôle des naissances. Parallèlement, la mortalité infantile n’est pas éradiquée.

9 – Le droit à la liberté religieuse est fondamental. Son non-respect déclenche des conflits inutiles et détourne des ressources de leur utilisation. Et le Pape de dénoncer les prétextes religieux qui couvrent des motivations économiques ou politiques et de fustiger le terrorisme fondamentaliste, le fanatisme et l’athéisme car, seul le vrai Dieu garantit le vrai développement.

10 – La complexité des savoirs exige la coopération et la charité favorise cette coopération. De plus, les exigences de l’amour ne contredisent jamais celles de la raison : il y a un amour riche d’intelligence et une intelligence pleine d’amour.

11 – la doctrine sociale est par nature pluridisciplinaire. Elle réclame des relations entre théologie, métaphysique et sciences humaines. Le dialogue entre la science et la théologie est difficile et les sciences humaines se sont fermées à la métaphysique

12 – à moyen et long terme, l’économique et l’humain sont toujours convergents. Les solutions neuves ne peuvent se confiner dans le profit de court terme, qui engendre gaspillage, chômage, inégalités, insécurité et érosion du capital humain.

13 – depuis l’époque de« Populorum progressio », le progrès reste en suspens et certains pays ont régressé cependant que d’autres émergeaient. La mondialisation et l’interdépendance planétaire, annoncées par Paul VI, ont pris une dimension nouvelle et une force surprenante, risquant de provoquer des dommages nouveaux et des fractures douloureuses. L’amour et la vérité nous provoquent à une tâche inédite, créatrice, vaste et complexe : il s’agit d’élargir la raison et de la rendre capable de comprendre et d’orienter ces nouvelles dynamiques.

Benoît XVI va, dans les quatre chapitres suivants ouvrir des chantiers. A suivre.
Père Yannik Bonnet
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