Le Bien Commun (1)

Vertu de justice et charité

Nous avons montré que les droits de la personne humaine n’étaient respectés, que si chacun se faisait une obligation morale de les respecter. La vertu de justice incline l’homme à ce respect. Nous avons vu également que la justice ne peut se répondre totalement aux exigences de situations difficiles voir extrêmes. La solidarité et plus encore la charité permettent d’aller plus loin que la justice et concourent à bâtir une civilisation toujours plus conviviale. Cette justice sociale, cette solidarité, ces formes de charité qui dépassent le seul secours de personne à personne, exigent une coopération et l’on ne coopère que si l’objectif commun parait clair et digne d’une mobilisation des énergies.

Intérêt collectif et bien commun

Voilà pourquoi depuis plus d’un siècle, l’Eglise s’efforce de bien faire comprendre la notion de bien commun. Il s’agit d’une notion moins évidente à l’esprit que celle d’intérêt collectif ou d’intérêt général, qu’il est facile d’illustrer par des exemples. Imaginons les débuts de l’humanité. La survie n’est pas toujours facile et la nature pas commode à maîtriser. Il semble bien que la chasse, la pêche et la cueillette, aient été les modes d’existence des descendants du premier couple, ces homos sapiens sapiens dont nous parlent les savants, qui s’intéressent à la préhistoire. Et beaucoup de vestiges anciens nous enseignent que très vite les hommes ont compris la nécessité de coopérer pour se procurer des vivres. Traquer le gibier, le rabattre, le cerner, ce sont des actions qui mobilisent un groupe de chasseurs, qui se partagent ensuite les proies abattues ou capturées. Il y a bien un intérêt commun à coopérer.

Très vite, d’autres activités se révèleront plus faciles à exécuter collectivement qu’individuellement, par exemple la culture du riz. Plus les tâches se diversifient, taille des pierres, sculpture, décoration, couture, fabrication d’armes et d’outils plus les hommes se spécialisent en fonction de leurs dons et de leurs goûts. L’intérêt bien compris de chacun fait émerger l’importance de la coopération, du troc, du commerce, d’une manière générale de l’union qui fait la force et de l’échange qui permet de faire face à toutes sortes de besoin sans être pour autant capable d’y pourvoir par soi-même. Mais cette coopération s’imposant toujours plus provoque des regroupements en hameaux, en villages, en tribus, plus tard en peuples, en nations. Ces communautés d’hommes ne s’avèrent viables, compte tenu des tendances bonnes et mauvaises des individus, que si règne en leur sein une certaine paix et si la sécurité des personnes est globalement assurée. Impossible de vivre, de travailler, de commercer, de se reposer, sans cette paix et cette sécurité. Les civilisations qui vont se développer seront celles où, au-delà de la simple coordination des efforts en vue d’une efficacité dans l’obtention de biens matériels, l’on aura pris conscience de l’importance de biens supérieurs comme la sécurité et la paix, mais aussi comme la vie culturelle, morale et religieuse.

Règles de vie sociale

Avant même la révélation de Dieu à Abraham, l’homme prenait peu à peu conscience ici ou là, qu’il est un être social, politique et religieux. Des règles du jeu s’élaboraient, des traditions se transmettaient, des organisations politiques se structuraient, et, sans qu’on est identifié la notion de bien commun, l’on se référait à un ensemble de besoins humains, communs à tous et dépassant les seuls besoins biologiques. La révélation au peuple juif et notamment la Loi donnée à Moïse permettront à ce dernier d’élaborer des règles de vie sociale, où le respect de l’homme dans toutes ses dimensions biologiques, morales et spirituelles est bien pris en compte, avec une mention particulière pour les plus faibles, la veuve, l’orphelin, l’immigré. On dépasse le seul intérêt du plus grand nombre pour atteindre la notion d’un bien commun à tous.

Ce que dit le Catéchisme de l’Eglise catholique

Le concile Vatican II dans la constitution pastorale Gaudium et Spes reviendra sur l’interdépendance croissante des groupes humains pour affirmer que « tout groupe doit tenir compte des besoins et aspirations légitimes des autres groupes et plus encore du bien commun de l’ensemble de la famille humaine. » Autrement dit la notion de bien commun est présente dès qu’il y a une communauté de destins entre des hommes, famille, école, entreprise, association, village, ville, région, pays, planète etc… Le bien commun de chacun de ces groupes ne saurait s’opposer au bien commun du groupement le plus haut mais, en retour, le groupe le plus haut ne saurait entraver l’exercice normal des libertés, ni mépriser les droits sacrés de la personne, ni s’arroger des pouvoirs exorbitants. Mais lisons ce que nous en dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique aux n° 1905 à 1912[1].

 Poursuivons notre cheminement. Nous avons vu que l’homme ne pouvant atteindre par lui-même tous les biens dont il a besoin pour vivre et s’épanouir s’organise en cellules de société, qui s’organisent elles-mêmes de façon de plus en plus complexe, jusqu’à l’Etat moderne de notre époque. De l’Etat, jusqu’à la famille, en passant par les corps sociaux intermédiaires, entreprises, associations, collectivités locales etc… toutes ces cellules de société se dotent de dirigeants. La doctrine sociale de l’Eglise définit ce qu’est le bien commun pour que l’homme soit réellement respecté au sein de la société, c’est ce que nous venons de voir. Nous pouvons donc revenir sur le rôle de ceux qui exercent l’autorité et également sur le rôle de chacun.

Ecoutons à nouveau le Catéchisme de l’Eglise Catholique, d’abord sur le rôle de l’autorité, aux n° 1897 à 1904 [2].

 

Et maintenant écoutons le même catéchisme sur le rôle des personnes elles-mêmes, rubrique responsabilité et participation, aux n° 1913 à 1917 : nous de citons ici que le numéro 1913 qui donne la définition de la participation au bien commun [3]:

La participation est l’engagement volontaire et généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu’il occupe et le rôle qu’il joue, à promouvoir le bien commun. Ce devoir est inhérent à la dignité de la personne humaine.

Bien commun et autorité sont donc liés pour assurer des raisons de vivre et d’espérer aux générations à venir. On comprend l’enjeu aussi pour le monde scolaire qui tient à coeur à AES.


Notes

[1] 1905 : Conformément à la nature sociale de l’homme, le bien de chacun est nécessairement en rapport avec le bien commun. Celui-ci ne peut être défini qu’en référence à la personne humaine : Ne vivez point isolés, retirés en vous-mêmes, comme si vous étiez déjà justifiés, mais rassemblez vous pour rechercher ensemble ce qui est de l’intérêt commun (Barnabé, ep. 4,10).

1906 : Par bien commun, il faut entendre « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée » (GS 26 cf. GS 74). Le bien commun intéresse la vie de tous. Il réclame la prudence de la part de chacun, et plus encore de la part de ceux qui exercent la charge de l’autorité. Il comporte trois éléments essentiels :

1907 : Il suppose, en premier lieu, le respect de la personne en tant que telle. Au nom du bien commun, les pouvoirs publics se tenus de respecter les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine. La société se doit de permettre à chacun de ses membres de réaliser sa vocation. En particulier, le bien commun réside dans les conditions d’exercice des libertés naturelles qui sont indispensables à l’épanouissement de la vocation humaine : « ainsi : droit d’agir selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à la juste liberté, y compris en matière religieuse » (GS 26).

1908 : En second lieu, le bien commun demande le bien-être social et le développement du groupe lui-même. Le développement est le résumé de tous les devoirs sociaux. Certes, il revient à l’autorité d’arbitrer, au nom du bien commun, entre les divers intérêts particuliers. Mais elle doit rendre accessible à chacun ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine : nourriture, vêtement, santé, travail, éducation et culture, information convenable, droit de fonder une famille, etc. (cf. GS 26).

1909 : Le bien commun implique enfin la paix, c’est-à-dire la durée et la sécurité d’un ordre juste. Il suppose donc que l’autorité assure, par des moyens honnêtes, la sécurité de la société et celle de ses membres. Il fonde le droit à la légitime défense personnelle et collective.

1910 : Si chaque communauté humaine possède un bien commun qui lui permet de se reconnaître en tant que telle, c’est dans la communauté politique qu’on trouve sa réalisation la plus complète. Il revient à l’Etat de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile, des citoyens et des corps intermédiaires.

1911 : Les dépendances humaines s’intensifient. Ils s’étendent peu à peu à la terre entière. L’unité de la famille humaine, rassemblant des êtres jouissant d’une dignité naturelle égale, implique un bien commun universel. Celui-ci appelle une organisation de la communauté des nations capable de « pourvoir aux divers besoins des hommes, aussi bien dans le domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation …), que pour faire face à maintes circonstances particulières qui peuvent surgir ici ou là (par exemple : l’accueil des réfugiés, l’assistance aux migrants et à leurs familles …) » (GS 84).

1912 : Le bien commun est toujours orienté vers le progrès des personnes : « L’ordre des choses doit être subordonné à l’ordre des personnes, et non l’inverse » (GS 27). Cet ordre a pour base la vérité, il s’édifie dans la justice, il est vivifié par l’amour.

[2] 1897 « A la vie en société manqueraient l’ordre et la fécondité sans la présence d’hommes légitimement investis de l’autorité et qui assurent la sauvegarde des institutions et pourvoient, dans une mesure suffisante, au bien commun » (PT 46). On appelle « autorité » la qualité en vertu de laquelle des personnes ou des institutions donnent des lois et des ordres à des hommes, et attendent une obéissance de leur part.

1898 Toute communauté humaine a besoin d’une autorité qui la régisse (cf. Léon XIII, enc. « Immortale Dei » ; enc. « Diuturnum illud »). Celle-ci trouve son fondement dans la nature humaine. Elle est nécessaire à l’unité de la Cité. Son rôle consiste à assurer autant que possible le bien commun de la société.

1899 L’autorité exigée par l’ordre moral émane de Dieu : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s’oppose à l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes » (Rm 13,1-2 cf. 1P 1P 2,13-17).

1900 Le devoir d’obéissance impose à tous de rendre à l’autorité les honneurs qui lui sont dus, et d’entourer de respect et, selon leur mérite, de gratitude et de bienveillance les personnes qui en exercent la charge. On trouve sous la plume du pape S. Clément de Rome la plus ancienne prière de l’Eglise pour l’autorité politique (cf. déjà 1Tm 2,1-2) : « Accorde-leur, Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité, pour qu’ils exercent sans heurt la souveraineté que tu leur as remise. C’est toi, Maître, céleste roi des siècles, qui donne aux fils des hommes gloire, honneur et pouvoir sur les choses de la terre. Dirige, Seigneur, leur conseil, suivant ce qui est bien, suivant ce qui est agréable à tes yeux, afin qu’en exerçant avec piété, dans la paix et la mansuétude, le pouvoir que tu leur as donné, ils te trouvent propice » (Cor. 61,1-2).

1901 Si l’autorité renvoie à un ordre fixé par Dieu, « la détermination des régimes politiques, comme la détermination de leurs dirigeants, doivent être laissées à la libre volonté des citoyens » (GS 74). La diversité des régimes politiques est moralement admissible, pourvu qu’ils concourent au bien légitime de la communauté qui les adopte. Les régimes dont la nature est contraire à la loi naturelle, à l’ordre public et aux droits fondamentaux des personnes, ne peuvent réaliser le bien commun des nations auxquelles ils se sont imposés.

1902 L’autorité ne tire pas d’elle-même sa légitimité morale. Elle ne doit pas se comporter de manière despotique, mais agir pour le bien commun comme une « force morale fondée sur la liberté et le sens de la responsabilité » (GS 74) : La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu’autant qu’elle se conforme à la juste raison ; d’où il apparaît qu’elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Dans la mesure où elle s’écarterait de la raison, il faudrait la déclarer injuste, car elle ne vérifierait pas la notion de loi ; elle serait plutôt une forme de violence (S. Thomas d’A., I-II 93,3, ad 2).

1903 L’autorité ne s’exerce légitimement que si elle recherche le bien commun du groupe considéré et si, pour l’atteindre, elle emploie des moyens moralement licites. S’il arrive aux dirigeants d’édicter des lois injustes ou de prendre des mesures contraires à l’ordre moral, ces dispositions ne sauraient obliger les consciences. « En pareil cas, l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression » (PT 51).

1904 « Il est préférable que tout pouvoir soit équilibré par d’autres pouvoirs et par d’autres compétences qui le maintiennent dans de justes limites. C’est là le principe de ’l’Etat de droit’ dans lequel la souveraineté appartient à la loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes »

[3] 1913 La participation est l’engagement volontaire et généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu’il occupe et le rôle qu’il joue, à promouvoir le bien commun. Ce devoir est inhérent à la dignité de la personne humaine.

1914 La participation se réalise d’abord dans la prise en charge des domaines dont on assume la responsabilité personnelle : par le soin apporté à l’éducation de sa famille, par la conscience dans son travail, l’homme participe au bien d’autrui et de la société (cf. CA 43).

1915 Les citoyens doivent autant que possible prendre une part active à la vie publique. Les modalités de cette participation peuvent varier d’un pays ou d’une culture à l’autre. « Il faut louer la façon d’agir des nations où, dans une liberté authentique, le plus grand nombre possible de citoyens participe aux affaires publiques » (GS 31).

1916 La participation de tous à la mise en oeuvre du bien commun implique, comme tout devoir éthique, une conversion sans cesse renouvelée des partenaires sociaux. La fraude et autres subterfuges par lesquels certains échappent aux contraintes de la loi et aux prescriptions du devoir social doivent être fermement condamnées, parce qu’incompatibles avec les exigences de la justice. Il faut s’occuper de l’essor des institutions qui améliorent les conditions de la vie humaine (cf. GS 30).

1917 Il revient à ceux qui exercent la charge de l’autorité d’affermir les valeurs qui attirent la confiance des membres du groupe et les incitent à se mettre au service de leurs semblables. La participation commence par l’éducation et la culture. « On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer »

Père Y. Bonnet.

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