Comprendre Caritas in Veritate (3)

Chapitre V : La collaboration de la famille humaine

Les deux derniers chantiers proposés par le Pape (chapitre V et VI) concernent la collaboration de la famille humaine et la place à assigner à la technique.

Il s’agit du chapitre le plus long de l’encyclique, ce qui montre l’importance que lui attache Benoît XVI. Dès le début, le pape rappelle que la solitude, l’isolement sont une des pires formes de pauvreté, souvent à l’origine de toutes les pauvretés. Le refus de l’amour de Dieu en est la cause majeure : l’homme se ferme sur lui-même, se sent étranger, insignifiant, éphémère, dans un monde constitué par hasard, il a beaucoup de difficultés à aimer et vient grossir le nombre des mal aimés. Or le monde moderne multiplie les interdépendances entre les hommes, comme l’avait remarqué Jean XXIII dans Mater et Magistra. Pour y faire face, l’humanité, coupée de Dieu, développe des idéologies et des utopies au lieu de reconnaître que le développement des peuples exige que ceux-ci forment une véritable et unique famille. Paul VI voyait dans le malaise mondial de la fin des années soixante le signe d’une indigence de la pensée. Benoît XVI appelle donc à un approfondissement de la nature de la relation entre les personnes. Les sciences sociales ne peuvent mener à bien ce travail, si elles restent coupées de la métaphysique et de la théologie. La Révélation chrétienne montre que la communion des hommes, loin d’anéantir l’autonomie de chacun comme le font les totalitarismes, la valorise. Eh bien ! Il en est de même des peuples et des cultures : au sein de l’Eglise corps vivant, qui unifie la famille humaine, ils conservent leurs légitimes diversités. L’Eglise est signe et instrument de l’unité des trois personnes de la Trinité, dont chacune est unique, en relation avec les deux autres, dans la transparence réciproque et la communion totale : un seul Dieu, unique substance divine en trois personnes. L’expérience humaine de l’union sacramentelle des époux et celle de la Vérité qui unit entre eux tous les esprits qui y adhèrent, nous aide à comprendre que l’ouverture à l’autre exige une compénétration et non une dispersion.
 

 

Tout l’homme et tous les hommes

Certes, ajoute le Pape, d’autres cultures et d’autres religions prônent la fraternité et la paix mais, sans le principe de l’amour dans la vérité, elles peuvent confiner la personne dans la recherche d’un bien être individuel, dévier dans le syncrétisme, voire dans le fondamentalisme. La liberté religieuse ne signifie pas que les religions sont équivalentes et n’incite pas non plus à l’indifférence religieuse. Il y a un discernement à exercer au niveau de chacun mais également au niveau du pouvoir politique, pour que celui-ci puisse œuvrer pour le bien commun. Le christianisme, religion du Dieu fait homme, porte en lui-même le principe d’un authentique développement de la famille humaine : « tout l’homme et tous les hommes » ; la doctrine sociale de l’Eglise est née pour revendiquer le droit de cité à la religion chrétienne, que beaucoup veulent confiner dans la sphère privée et que certains excluent au nom d’un fondamentalisme oppressant. La privation de la liberté personnelle comme la coupure avec le fondement transcendantal des droits humains appauvrissent la vie publique et empêchent le fructueux dialogue entre la foi et la raison, indispensable pour l’une comme pour l’autre. Au rebours, la pratique sociale de la charité constitue le terrain de choix pour la collaboration croyants – incroyants et c’est pour les croyants un impératif de leur foi, puisque c’est la volonté de Dieu que les hommes vivent comme une famille.
 

 

La doctrine sociale de l’Eglise a toujours associé solidarité et subsidiarité.

Le principe de subsidiarité permet à chaque personne de garder sa dignité, d’œuvrer dans les corps intermédiaires à taille humaine, de participer, d’exercer des responsabilités. Elle est l’antidote à l’assistance. La mondialisation exige donc un mode de « gouvernance » de nature subsidiaire pour éviter la mise en place d’un dangereux pouvoir universel monocratique : efficacité et respect des libertés sont à ce prix. La doctrine sociale de l’Eglise à toujours associé solidarité et subsidiarité. C’est ce qui est indispensable pour que les aides internationales pour le développement mobilisent les acteurs locaux, ne maintiennent pas le peuple dans un état de dépendance, ne favorisent pas des situations de domination et d’exploitation locales. Et le pape de signaler en particulier le problème du commerce international des produits de l’agriculture des pays pauvres et d’inciter tous les acteurs économiques à saisir l’occasion de la crise actuelle pour prendre le développement de ces pays comme un instrument de création de richesse pour tous.
 

 

Nature humaine et loi naturelle

Une première conclusion partielle de cette réflexion sur la collaboration de toute la famille humaine au développement de tous est que l’on ne saurait prendre en compte que la dimension économique. La coopération est une occasion de partage culturel et humain. Cela permettrait d’identifier les convergences éthiques présentes dans les diverses cultures, signe évident qu’il y a une « nature humaine » voulue par le Créateur et donc une loi naturelle à observer par tout être humain. Cette loi morale universelle est le fondement de tout dialogue culturel, politique et religieux et permet aux diverses cultures de rester fidèle à la recherche du vrai, du bien et donc de Dieu. Cette loi est inscrite dans les cœurs et, sans l’adhésion à cette loi, la collaboration au développement ne peut être constructive.
 

 

Formation complète de la personne

L’éducation est donc une nécessité, elle dépasse la simple instruction et la formation professionnelle indispensables : il s’agit de la formation complète de la personne. La vision relativiste de la nature de la personne compromet l’éducation morale et menace ainsi l’efficacité des aides aux plus démunis. Un exemple actuel, le tourisme international qui peut être facteur de croissance économique et culturelle mais également d’exploitation et de déchéance morale, qui culminent avec le tourisme sexuel. Autre exemple, le phénomène migratoire, impossible à traiter par chaque pays isolément. Seule une coopération internationale, avec une vision de long terme et une harmonisation des législations, pourra sauvegarder les droits des émigrés et ceux des sociétés qui les accueillent. Le problème est complexe puisqu’il y a une contribution économique des immigrés à la fois au pays d’accueil mais également au pays d’origine par les transferts d’argent et que les droits fondamentaux des personnes doivent être sauvegardés, ce qui implique de ne pas traiter le travail des immigrés comme un simple facteur de production.

Le pape aborde alors la question du chômage, facteur important de pauvreté. Il rappelle l’appel de Jean-Paul II le 1er mai 2000, à l’occasion du jubilé des travailleurs, pour une coalition mondiale en faveur du travail digne, près de 20 ans après la publication de laborem exercens. Un travail digne est choisi librement, il permet le respect sans discrimination, donner les moyens de faire vivre la famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci soient obligés de travailler ; il confère aux travailleurs la liberté de s’organiser et de faire entendre leur voix, leur laisse le temps de retrouver leurs racines au niveau personnel et de parvenir à des conditions de vie décente à la retraite. Tout ceci implique une rénovation importante des organisations syndicales pour qu’elles abordent et affrontent les problèmes des sociétés modernes.

 
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