Doctrine sociale : l’apport spécifique de Jean-Paul II à travers ses encycliques sociales (2)

La troisième encyclique sociale de Jean-Paul II, Centesimus Annus ( CA 1991)

Dans sa troisième encyclique sociale, Jean-paul II, après une relecture importante deRerum Novarum, constate l’effondrement du système  » socialiste » des pays de l’Est, trahi par ses propres erreurs, sociales ( foules ouvrières exaspérées), économiques, culturelles, morales ( N°23-24). Pour ces pays, l’après-seconde-guerre-mondiale a commencé seulement à l’époque de la rédaction de Centesimus Annus.

Jean-Paul II reprend de façon plus nette que dans les deux encycliques précédentes, le thème de l’importance du savoir, de la connaissance, de la technique, véritable richesse des pays développés, propriété plus importante que celle des ressources naturelles. ( N°32) Il met à nouveau l’accent sur l’importance de la capacité d’initiative et d’entreprise, qui permet d’offrir au client, au meilleur prix, le produit ou le service dont il a besoin et au bon moment. ( N°32) L’homme lui-même devient dans la société moderne plus important que jadis la terre ou plus recemment le capital. [1]

Mais ce fait nouveau créé un nouveau type d’exclusion, celle des hommes qui ne disposent pas des moyen d’entrer dans ce nouvel état technico-économique, minorité dans les pays riches, majorité dans les pays pauvres. ( N°33). Jean-Paul II constate également les conséquences dans les pays plus riches, d’une surabondance de biens, surabondance non ordonnée au véritable bien de l’homme, voire même objectivement tournée vers la satisfaction des instincts, empêchant la personnalité de parvenir à sa maturité. ( N°36)

En résumé, on pourrait donc dire, en matière de constats nouveaux apportés par Jean-Paul II, qu’il prend en compte les conséquences de la nouvelle révolution industrielle, qui ouvre la possibilité d’un accroissement des biens marchands, qui donne un poids important à une bonne formation, qui privilégie les possesseurs du savoir, qui donne une importance énorme à l’initiative et à la créativité. Il prend en compte également l’effondrement de l’idéologie marxiste-léniniste mais constate l’émergence de nouvelles oppressions politiques, économiques, éthniques et religieuses. Il constate également l’émergence de nouvelles pauvretés, de nouveaux risques d’affrontements, des risques écologiques, du chômage.

Les approches spécifiques de Jean-Paul II. Synthèse

L’importance de l’homme

En toute occasion, Jean-Paul II recentre les questions sur l’importance de l’homme. Pour lui, les grandes erreurs des idéologies libérales ( hypertrophie de la liberté), socialistes ( atrophie de la liberté), proviennent toujours d’une erreur anthropologique. Tous les droits particuliers, économique, social, religieux, politique, culturel, font partie des droits de la personnes humaines », et la vision de Jean-paul II, si elle est  » religieuse », est toujours fondée sur une philosophie de la personne, accessible aux non-croyants. Jean-Paul II, très critique vis-à-vis de la philosophie des Lumières, reprend à sa manière le combat des droits de l’homme, dans lequel ont échoué les systèmes politiques, issus de la philosophie des Lumières. ( Ce constat revient dans les trois encycliques sociales de Jean-Paul II, voir nos articles précédents).

De ce fait, Jean-Paul II porte un jugement équilibré sur l’économie moderne d’entreprise, à cause de la place qu’elle donne à la liberté de la personne. Il reconnait que le marché libre est l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins solvables. Il reconnaît le rôle pertinent du profit comme indicateur de bonne santé de l’entreprise.

Mais il dénonce l’économisme, constate que de nombreux besoins humains ne peuvent pas être satisfaits par le marché, que l’Etat doit garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la société, que les forces sociales doivent jouer leur rôle pour contribuer à l’édification d’une société du travail libre, de l’entreprise et de la participation. ( CA 34-35)

Le « sujet travailleur ».

Toujours à cause de l’importance qu’il donne à l’homme, Jean-paul II parle plus du sujet travailleur que de l’objet du travail. L’homme ne travaille pas seulement pour subsister, il travaille pour se développer, accroître sa dignité, participer à l’oeuvre du Créateur. L’homme, à l’image de Dieu, n’est pas créateur ( ex nihilo, à partir de rien, mais créatif, et cette créativité est la grande source de progrès social et économique, à condition qu’elle soit libérée.

Jean-Paul II reprend l’expression d’ Hyacinthe Dubreuil du travailleur salarié, qui travaille aussi  » à son compte » et comme Simone Weil, il insiste sur la valeur spirituelle du travail. ( Laborem Exercens).

Jean-Paul II a également une vision extensive du capital, qui regroupe les moyens de production ( dont les propriétaires peuvent être privés ou publics), les savoirs et les technologies ( la matière grise accumulée) et les ressources naturelles. Il montre ainsi les limites d’un droit exclusif de la propriété privée mais également celles d’une socialisation qui tendrait à l’étatisation. Mais il répète comme tous ses prédécesseurs, que l’Eglise n’a pas de « solutions techniques » à proposer.

Les structures de péché et les prises de position en faveur du développement

Autre originalité de Jean-Paul II, il discerne dans le monde de véritables  » structures de péché », qui s’opposent au devoir de promouvoir le bien commun, qui donnent l’impression de constituer tant chez les personnes qu’au sein des institutions un obstacle difficile à surmonter. Ces structures de péché ont pour origine des péchés personnels. le désir exclusif du profit et la soif de pouvoir  » à tout prix », se rejoignent pour mettre à mal tant la solidarité que les libertés personnelles. Les prises de position en faveur du développement doivent donc avoir un caractère moral.

Enfin, on peut aussi remarquer que la forme des trois encycliques sociales de Jean-Paul II est très marquée par une manière de penser et de s’exprimer très personnelle. l’enracinement de la pensée est biblique, spirituelle mais également philosophique ( personnaliste), la pensée n’est pas ordonnée  » à la française » mais progresse par vagues successives, revenant sur un thème, apportant des nuances ou des compléments. Elle apparaît surtout comme celle d’un homme aux convictions vigoureuses, à l’expérience personnelle riche, au sens profond de sa responsabilité, qui témoigne que pour lui, l’autorité est un service. 

Caritas in Veritate, l’encyclique sociale de Benoît XVI : un double héritage et une continuité.

Les Papes ont tous le souci extrême de marquer la continuité de leur pensée avec celles de leurs prédécesseurs. En revanche, comme le monde évolue d’une part et que de l’autre, chaque Pape arrive au Siège de Pierre avec un passé, une culture personnelle, une manière d’aborder les problèmes, on peut déceler chez chacun d’eux une attention particulière à tel ou tel problème nouveau et une manière spécifique d’aborder les problèmes, qu’ils soient anciens ou nouveaux.

Il sera alors aussi important de voir la continuité de pensée et l’enrichissement apporté par Benoît XVI à ce domaine de l’enseignement de l’Eglise que les nouveautés. Beaucoup de journalistes ont commenté l’encyclique Caritas in Veritate comme en rupture avec l’apport de Jean-Paul II et se rapprochant plus de Populorum Progressio dans la ligne de Paul VI. Qu’on nous permette de voir plutôt un double héritage dont il est bon de ne rien perdre ! voir Comprendre Caritas in Veritate. (1)

 

Notes :

 

[1] Extrait du N°32 de CA : Mais, à notre époque, il existe une autre forme de propriété et elle a une importance qui n’est pas inférieure à celle de la terre : c’est la propriété de la connaissance, de la technique et du savoir. La richesse des pays industrialisés se fonde bien plus sur ce type de propriété que sur celui des ressources naturelles.

 

On a fait allusion au fait que l’homme travaille avec les autres hommes, prenant part à un « travail social » qui s’étend dans des cercles de plus en plus larges. En règle générale, celui qui produit un objet le fait, non seulement pour son usage personnel, mais aussi pour que d’autres puissent s’en servir après avoir payé le juste prix, convenu d’un commun accord dans une libre négociation. Or, la capacité de connaître en temps utile les besoins des autres hommes et l’ensemble des facteurs de production les plus aptes à les satisfaire, c’est précisément une autre source importante de richesse dans la société moderne. Du reste, beaucoup de biens ne peuvent être produits de la manière qui convient par le travail d’un seul individu, mais ils requièrent la collaboration de nombreuses personnes au même objectif. Organiser un tel effort de production, planifier sa durée, veiller à ce qu’il corresponde positivement aux besoins à satisfaire en prenant les risques nécessaires, tout cela constitue aussi une source de richesses dans la société actuelle. Ainsi devient toujours plus évident et déterminant le rôle du travail humain mâtrisé et créatif et, comme part essentielle de ce travail, celui de la capacité d’initiative et d’entreprise .

 

   P. Y. Bonnet

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