Education : le juste combat

« Famille, école, entreprise, même combat ! »

Il y a vingt ans exactement, j’avais donné comme sous-titre à mon premier livre, Le Défi éducatif, un appel fervent : « Famille, école, entreprise, même combat ! »  Il me paraissait évident, en effet, que ces trois cellules de société étaient à la fois détournées de leur mission éducative par l’idéologie ambiante et menacées par les conséquences ultérieures de cette démission. La famille, ne préparant plus ses enfants à l’effort, à l’engagement, au respect de la parole, voyait ceux-ci souvent incapa­bles de fonder un foyer solide. L’école, ravagée par le pédagogisme et privée d’enseignants éducateurs, voyait ses élèves sortir du système sans bases solides, sans repères culturels, sans méthodes de travail. En bout de chaîne, le monde du travail peinait, malgré l’abondance de chômeurs, à recruter des collaborateurs fiables. À l’époque, le sous-titre n’avait choqué personne, le manifeste avait percuté et j’avais été sollicité pour de nombreuses conférences.
Combat : un terme choquant ?

Or, tout récemment, j’ai, à plusieurs reprises, constaté que le terme « combat » heurtait les « bons catholiques » qui me sollicitaient pour une conférence sur l’éducation. J’ai l’impression que la conviction que les forces du mal existent et qu’il faut combattre pour les endiguer, pour permettre à la vérité de se faire entendre, à la justice de triompher, à la paix de s’instaurer, est devenue étrangère à nombre de nos coreligionnaires. Quand je lis l’Écriture sainte, et tout particulièrement l’Évangile, je n’ai pas l’impression que le Christ ait donné à ses apôtres la consigne d’être « soft » et de ménager les hypocrites, guides aveugles et sépulcres blanchis. De même qu’il y a des soldats de la paix, il y a une Église militante (« miles » veut dire soldat en latin), qui combat pour la justice, la vérité et l’amour. Le Christ a bien dit à Pierre de ne pas se servir de l’épée et à Pilate qu’il n’avait pas d’armée, mais il n’a jamais encouragé la mollesse, la lâcheté, la démission, la compromission. « Que votre oui soit oui, que votre non soit non, tout le reste vient du malin » (Mt 5, 37). Comme le bon grain et l’ivraie croissent ensemble, la Cité du Bien et celle du Mal, selon l’expression de saint Augustin, s’opposeront jusqu’à la fin des temps.

La maîtrise de soi permet justement de combattre sans violence inutile. Dans l’histoire contemporaine, Solidarnosc a mené un combat, que Jean-Paul II avait initié et qu’il a soutenu, combat dont tout chrétien peut s’inspirer. La lettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev fin 1980 en témoigne. ( voir ci-dessous le contexte historique et le texte de la lettre de Jean-Paul II). Par son intervention, Jean-Paul II montrait le chemin d’une maîtrise des événements sans lâcheté ni faiblesse, sans intention non plus de céder face à la menace du mal.

L’attentat de mai 1981 était probablement une réponse. Le combat contre le mal n’est pas sans risque, le Christ l’a souffert jusqu’à la croix. N’incitons pas nos jeunes à fuir ce combat vital pour l’instauration de la civilisation de l’amour. Donnons-leur une éducation chrétienne, c’est un juste combat.

P. Y. Bonnet

En Pologne, il a toujours existé une résistance de fait au régime totalitaire communiste. Le poids du catholicisme et d’une Eglise catholique structurée, une agriculture jamais collectivisée, des intellectuels contestataires et un fort sentiment national anti-russe rendaient les rapports du pouvoir avec la société civile plus difficile encore qu’ailleurs dans les pays de l’Est.

Suite aux accords d’Helsinki, un groupe d’intellectuels, le KOR (Comité de défense des ouvriers) apparut en 1976. En 1978, à la surprise générale, un cardinal polonais, Karol Wojtyla, devient pape sous le nom de Jean-Paul II. En juin 1979, son voyage en Pologne est un triomphe.
Durant l’été 1980, une vague de grèves ouvrières pour cause de hausse des prix surgit. Dans les chantiers navals de Gdansk, Lech Walesa devient un leader syndical. Un comité de grève inter-entreprises se créent et structurent des revendications sociales et politiques (droit de grève, réforme économique, libération des prisonniers politiques). Le pouvoir communiste se révèle vulnérable devant l’ampleur de la mobilisation populaire et, le 31 août 1980, il cède en signant les « accords de Gdansk » (existence légale de syndicats indépendants, droit de grève, droit à l’information). Solidarnosc (le syndicat Solidarité dont Lech Walesa est le président), créé en septembre 1980, gagne rapidement de l’importance (en juin 1981, il regroupe 9,5 millions de travailleurs pour une population totale de 35 millions d’habitants).
On craint une intervention soviétique sur l’air déjà vu de « Budapest 1956 » et « Prague 1968 ».
Jean-Paul II écrit à Brejnev en décembre 1980.

« A son excellence, M Leonid Brejnev Président du Soviet suprême de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (1)
Je me fais l’expression de l’inquiétude de l’Europe et de l’ensemble du monde à propos de la tension engendrée par les événements intérieurs survenus en Pologne au cours de ces derniers mois. La Pologne est un des pays signataires des accords d’Helsinki. Cette nation fut, en septembre 1939, la première victime d’une agression à l’origine de la terrible période de l’Occupation, qui durerait jusqu’en 1945. Pendant toute la seconde Guerre mondiale, les Polonais restèrent aux côtés des Alliés, se battant sur chacun des fronts de la bataille, et la rage destructrice de ce conflit coûta à la Pologne la perte de près de six millions de ses fils, soit un cinquième de sa population.
Ayant donc à l’esprit les divers motifs graves de préoccupation engendrés par la tension concernant la situation actuelle en Pologne, je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir afin que disparaisse ce qui constitue, selon l’opinion générale, les causes de cette préoccupation. Cela est indispensable à la détente en Europe et dans le monde. Un tel résultat ne peut être obtenu me semble-t-il qu’en demeurant fidèle aux principes solennels des accords de Helsinki, qui définissent les critères régulant les relations entre les Etats. Et notamment en respectant les droits relatifs à la souveraineté, ainsi que le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de chacun des Etats participants. Les événements qui se sont déroulés en Pologne ces derniers mois ont été provoqués par la nécessité inéluctable d’une reconstruction économique du pays, qui exige, en même temps, une reconstruction morale fondée sur l’engagement conscient, dans la solidarité, de toutes les forces de la société.
Je suis sûr que vous ferez tout votre possible pour dissiper la tension actuelle, afin que l’opinion publique soit rassurée au sujet d’un problème aussi délicat et urgent.
J’espère vivement que vous serez assez aimable pour accueillir et examiner avec attention ce que j’ai cru de mon devoir de vous exposer, en considérant que je ne suis inspiré que par les intérêts de la paix et de la compréhension entre les peuples.
JOHANNES PAULUS PP.II
Le Vatican
16 décembre 1980″
(1) Lettre écrite en français, sur un papier crème frappé des armes personnelles de J.P II, publiée dans « La vie » en 1998

L’intervention soviétique n’eut pas lieu, probablement parce que le général polonais Jaruzelski à la tête d’un « Conseil militaire de salut national », proclama l’état de guerre (couvre-feu et arrestation des opposants) le 13 décembre 1981 et arrêta ainsi la libéralisation. Lech Walesa connut la prison pendant un an ; un levée partielle de la loi martiale eut lieu en décembre 1982.
La fin de la doctrine Brejnev (souveraineté limitée des pays de l’Est) annoncée par Gorbatchev entraîna des négociations entre le pouvoir et Solidarité, aboutissant aux élections de 1989 et à la nomination de Tadeusz Mazowiecki (intellectuel catholique, membre de Solidarité) premier ministre. Il s’agissait de la première nomination d’un chef de gouvernement non communiste dans le bloc de l’Est. En 1990, Lech Walesa devint le premier président d’une Pologne démocratique.

Retour en haut