Seules les personnes ont une destinée éternelle
CATHOLIQUE ET CHEF D’ENTREPRISE, PUIS-JE LICENCIER ?
Dans cette question, deux considérations sont à prendre en compte, la vie de l’entreprise et le comportement d’un responsable catholique. Commençons par la vie de l’entreprise en énonçant deux évidences. La première, pour reprendre une expression de Simone Weil, seules les personnes ont une destinée éternelle ; ce n’est pas le cas des sociétés humaines, quelles qu’elles soient, nations, entreprises, familles, associations… De ce fait, il n’y a pas à sacraliser l’entreprise, qui a un rôle temporel, utile, respectable mais limité à sa durée de vie. Deuxième évidence, cette vie temporelle de l’entreprise peut être interrompue parce que les besoins, les désirs, les priorités d’achat des clients évoluent, mais également les technologies, la disponibilité, le prix des matières premières, le coût des impôts et charges diverses, etc.… L’entreprise est donc mortelle par nature, il faut l’admettre réalistement.
Faire de tous des » acteurs de la stratégie » de l’entreprise
Ceci posé, le devoir du chef d’entreprise, catholique ou non, est de bien gérer cette cellule temporelle comme ce qu’elle est, c’est-à-dire une communauté d’hommes et de femmes, engagés dans la réalité humaine du travail, soucieux de la vie de l’entreprise, même s’ils ne l’affirment pas hautement, parce qu’elle conditionne leur subsistance. Un chef d’entreprise catholique a donc, en conscience, le devoir moral d’être apte à diriger, ce qui demande à la fois des dons et des acquis. Au chapitre des dons, une capacité à anticiper, à se projeter dans l’avenir, j’allais dire « du nez », une capacité à détecter les talents des collaborateurs, une solidité nerveuse, une maîtrise de l’anxiété. Au chapitre des acquis, la formation à l’économie de l’entreprise, à la communication et aux trois « fondamentaux » du management humain : Unir tous les collaborateurs sur un projet réaliste, porteur de valeurs morales, développer les talents et les compétences de chacun et déléguer les pouvoirs le plus bas possible. C’est tout simplement l’application concrète au cas de l’entreprise de la doctrine sociale de l’Eglise, dont le « compendium » a été publié en français par la librairie vaticane. Le chef d’entreprise catholique peut faire ainsi de tous les collaborateurs des « acteurs de la stratégie » …et non des spectateurs, qui attendent l’ordre et le contrordre !
Savoir déléguer et s’appuyer sur les collaborateurs
Aide toi, le Ciel t’aidera, dit la sagesse populaire européenne dont les racines chrétiennes transparaissent si souvent. Le chef d’entreprise catholique s’efforce de bien jouer sa partition, de se former, de faire son devoir d’état mais également il prie paisiblement l’Esprit Saint, se met sous la protection de Saint Joseph et prend le temps de se reposer et d’aimer les siens. Savoir déléguer est une clef incontournable de la disponibilité, de la paix intérieure…et de la sécurité, car les collaborateurs devenus acteurs vous alertent dès qu’ils sentent un danger !
Reste que l’entreprise est mortelle, que l’économie moderne est à la fois exigeante et en évolution rapide et que le licenciement économique peut être une obligation pour la survie. Si le management est « transparent » et anticipateur, le choc sera moindre, préparé et plus facile à amortir. Si le management vise à faire des collaborateurs de bons professionnels, autonomes et recasables, les dégâts humains peuvent être faibles.
Licenciement économique ou pour comportement : toujours un devoir grave et douloureux
Mais une autre question, moins complexe, est également posée implicitement, celle du licenciement hors problème économique. Il est parfois nécessaire de licencier un collaborateur qui, par ses comportements, et malgré des avertissements oraux puis écrits, perturbe la communauté et met en danger le bien commun : c’est alors un devoir grave, même s’il est douloureux, où la raison doit l’emporter sur l’affectif. En revanche, quand l’entreprise a fait une erreur à l’embauche, elle doit assumer sa responsabilité et négocier avec l’intéressé une séparation ou une rétrogradation honorable. Par grâce, dans ma longue carrière, je n’ai eu à prononcer qu’un licenciement, non économique, pour comportement inadmissible d’un salarié. Je l’ai fait parce que, en conscience, je devais le faire.
P. Y. Bonnet