Est-ce que les travailleurs font toujours ce qu’ils aiment faire?
Dans ma vie, j’ai rencontré des milliers de personnes. La profession, le bénévolat, le sport, le syndicalisme, la vie de la cité, tout y a concouru. J’ai pu constater que beaucoup de gens, à un moment ou à un autre, aiment parler de leur travail. j’ai observé également que très peu de personnes m’ont dit détester leur travail.
Bien sûr, je ne dis pas qu’elles étaient toutes ravies de leur rémunération, de leur chef hiérarchique ou de l’ambiance régnant dans le milieu de travail. Mais sur le travail proprement dit, sur les opérations à réaliser, les tâches à accomplir, peu de critiques. Plus encore, beaucoup m’ont semblé fières de parler de ce qu’elles savaient faire. Certaines étaient aussi légitimement poussées à apprendre plus, à aller vers plus de compétences dans leur domaine, phénomène normal qui montre que l’on est bien dans sa voie.
Toutes ces observations me confirement que le trop fameux » Comment ça va? -Comme un lundi! » n’a pas pour cause le travail lui-même, mais davantage les conditions de travail, la rémunération, l’ergonomie et plus encore la qualité des relations humaines.
Est-ce que les travailleurs, ( » travailleuses! travailleurs! » dit un pastiche bien connu de notre époque), font ce qu’ils aiment faire? Non, certainement pas. Dans tout métier, il y a des tâches plus passionnantes et d’autres plus fastidieuses. Et ce n’est pas vrai que pour le travail rémunéré. Personnellement, j’aime cuisiner, et j’éprouve un plaisir extrême à fignoler une bonne sauce ou à préparer une savoureuse tourte aux trois viandes! Mais il faut aussi éplucher les légumes, ranger les ustensiles après usage, désosser le lapin, voire vider le gibier.
En aimant ce que l’on fait, on le fait bien!
Pendant cette partie du travail, à défaut de faire ce que j’aime, j’ai résolu d’aimer ce que je fais!
Ce petit secret du bonheur au travail, je sais que beaucoup l’on découvert depuis longtemps. Mais l’on dirait qu’ils ont un peu honte de le transmettre à leurs enfants, à leurs collègues, à leurs amis. Comme si c’était du masochisme de reconnaître qu’un travail comporte des moments plus difficiles, moins gratifiants. Alors que c’est d’abord du réalisme : pourquoi » faire la gueule », alors que l’on peut être heureux si l’on veut. D’autant plus que, je l’ai remarqué, en aimant ce que l’on fait, on le fait bien, et que le travail bien fait donne la fierté et une gratification personnelle non négligeable qui fait passer aux oubliettes les moments fastidieux.
L’exemple de la cuisine que je viens d’évoquer n’a pas été pris au hasard : j’aime cuisiner à la fois parce que j’aime les bonnes choses et que dans mon patrimoine génétique, j’ai hérité du chromosome du » touilleur ».
Ce rapport avec la chimie qui a longtemps été mon métier? J’ai reconnu immédiatement, dès les premiers travaux pratiques, que le chimiste de laboratoire doit posséder un tel chromosome. J’avais appris à faire une blanquette à dix ans et, découvrant la chimie à treize ans, séduit, je me suis dit immédiatement : » Chimie et cuisine, même combat! »-un combat fait pour moi.
Chaque personne a des dons, des goûts, des passions – le jeu, le sport, la vie familiale, l’école, les arts, la présence auprès des jeunes, la vie associative, la décoration… – que les circonstances de la vie peuvent contribuer à révéler. Il faut apprendre aux jeunes et aux moins jeunes à êtres attentifs aux signes que nous donne la vie. Je connais ainsi des » bac + 4″ littéraires qui sont aujourd’hui ébénistes, des ingénieurs de formation devenus restaurateurs. On peut faire ce que l’on aime, peut-être pas du premier coup, mais en étant patient et persévérant, attentif à se découvrir, à l’écoute de sa vocation. Pourquoi ne pas essayer des activités qui attirent, oberver les talents familiaux, découvrir son talent personnel imprévu, peut-être celui-là même dont on a dit : je n’y arriverai jamais!
Regarder le travail sous un angle complémentaire de celui du salaire, celui de l’équilibre de vie.
Tout en explorant diverses capacités et voies, on peut toujours aimer ce que l’on fait dans le moment présent. Trop de gens ne regardent aujourd’hui leur travail que sous l’angle du salaire ou de l’image, négligeant équilibre de vie et goût à ce que l’on fait. Ils ne s’aiment pas assez pour rachercher avec persévérance leurs talents, pour se donner les moyens ( une fois assuré le » primum vivere ») d’assouvir leurs goûts innés et de développer leurs dons, peut-être au prix de quelques sorties ou gadgets à la mode en moins.
C’est pourquoi il est important d’aider les jeunes à intégrer cette dimension d’une recherche d’un équilibre de vie dans le travail, en intégrant en plus du réalisme d’un métier qui permette de vivre, une dimension plus large : aimer ce que l’on fait, faire ce que l’on aime même si cela rapporte un peu moins, développer ces talents gratifiants et équilibrants qui permettent de donner en vue d’autre chose que le seul bénéfice, en vue de ces bénéfices immatériels que sont la créativité, la satisfaction du travail bien fait, la production de beauté, la transmission de savoir-faire, et même pourquoi pas, en vue d’une certaine gratuité dans ce que l’on fait.
» Seigneur, accorde à tous mes frères la grâce de devenir ce qu’ils sont potentiellement et ce que Tu as prévu pour eux, à cette fin, de toute éternité. »
P. Y. Bonnet