Faire marcher le commerce à tout prix?
Depuis déjà quelques années, un certain nombre de surfaces commerciales, de diverses spécialités, souhaitent pouvoir ouvrir leurs magasins le dimanche. Il ne s’agit pas de contrevenir à la loi qui régit la durée du travail, mais de faire du dimanche un jour comme les autres, de mettre fin au principe, multiséculaire dans notre pays, qui veut que ce jour soit un jour chômé sauf en cas de contraintes ou d’utilité sociale graves. Le désir d’augmenter le chiffre d’affaires n’entre évidemment pas dans le cadre des exceptions admises par la législation actuelle. On peut donc penser que les partis politiques seront soumis à l’action de groupes de pression, en vue d’ouvrir largement les possibilités de faire travailler des salariés le dimanche pour faire marcher le commerce.
Le repos du dimanche sous l’angle anthropologique.
Une première question se poserait alors, en termes de droit du travail : serait-il légal d’introduire dans le contrat de travail une clause justifiant un licenciement pour le cas où un salarié, embauché au départ pour un emploi « de semaine », se verrait demander de travailler le dimanche de façon, sinon régulière du moins non exceptionnelle ? N’étant pas juriste, je laisse aux spécialistes le soin de répondre à cette question. Mon propos sera plutôt d’envisager le problème du repos du dimanche sous un angle anthropologique.
Qu’il y ait un besoin d’alternance travail – repos dans la nature de la personne, nul ne songerait à le nier. Il ne faudrait pas croire que les hyperactifs ne se reposent jamais, bien souvent ils changent d’activité pour se reposer de leur activité – travail. Mais il est exact que certains ne prennent que trop peu le temps de ralentir leur rythme d’activité pour se retrouver eux-mêmes, rencontrer les autres, réfléchir, méditer, prier… Chez ceux-là, on peut déceler quelque déficit d’humanité dont ils pâtissent plus ou moins consciemment et dont souffre leur entourage ; disons, en tous cas, que l’alternance travail – repos correspond bien à ce que l’on peut attribuer à une exigence de la nature humaine.
Une alternance régulière bénéfique.
Dès lors, est-il souhaitable que cette alternance ait un caractère régulier ? Peut-être la recherche médicale nous donnera dans l’avenir une réponse scientifique. On sait qu’il y a, inscrite en nous, une « horloge biologique » dont la médecine tient compte toujours davantage dans l’administration des médicaments. Peut-être est-il biologiquement sain de s’arrêter de travailler une fois par semaine ? Affaire à suivre ! Ce qui, en tous cas, semble certain c’est que le fait que ce repos soit fixé par la société humaine un jour précis, en l’occurrence le dimanche dans nos pays de racines chrétiennes, a un immense avantage pour la vie familiale et plus généralement pour la vie sociale.
Un jour de disponibilité potentielle sans prise de rendez-vous acrobatique : pour la famille, pour la vie spirituelle.
Pour les parents et les enfants, il est indispensable que le dialogue puisse tenir, sans prise de rendez-vous acrobatique, un jour fixé par la société civile où l’on puisse être sûr que les uns comme les autres sont au repos et disponibles potentiellement. De même, il est également possible de rencontrer des amis, de participer à des manifestations sociales ou culturelles. Pendant la période de ma vie, où je travaillais dans la grosse industrie chimique, où les unités fonctionnant à « feu continu » sont nombreuses, j’ai pu constater les difficultés des salariés travaillant en poste pour continuer à avoir une vie familiale équilibrée et une vie sociale ouverte, sans compter l’usure de la santé au fil des années.
L’être humain a un besoin de détente, de loisirs sains, de vie sociale et familiale, qui est incontestablement facilité par ce retour régulier d’un jour, à coup sûr chômé chaque semaine. Cette volonté de certains de mettre fin au principe du repos dominical donne à penser que la finalité même du travail est en train de se réduire à la nécessité de gagner de l’argent et surtout d’en gagner toujours plus.
Le mercantilisme, ennemi de la famille.
On fait miroiter de façon abusive les bienfaits de la société de consommation pour pousser nos contemporains à « acheter plus » et donc à apporter leurs concours au mercantilisme ambiant, sept jour sur sept. En définitive, c’est bien l’idéologie matérialiste, l’économie comme disait Jean-Paul II, qui déshumanise l’humanité. L’homme ne vit pas que de pain, dit l’Ecriture. L’homme est un être en quête de vérité ultime, sans le savoir parfois, il recherche Dieu pour donner sens à sa vie. Il est certain que les chrétiens seront, pour la plupart, choqués, blessés dans leurs convictions, quand ils verront les partis politiques, soumis à la pression des économistes matérialistes, proposer dans leur programme la banalisation du dimanche. Mais il me parait souhaitable qu’ils communiquent avec tous les hommes de bonne volonté sur les fondements de la nature humaine, sur ce « mode d’emploi de l’homme » qui a conduit à instituer un repos hebdomadaire régulier. Il est légitime qu’ils demandent que ce jour reste le dimanche, puisque l’histoire l’atteste, nos racines sont chrétiennes.
Le sens profond du dimanche pour les chrétiens : transmettre le souvenir de la Resurrection.
Pour les chrétiens, le repos du dimanche est inscrit dans la Bible : Jésus ressucite un jour précis de la semaine, le dimanche. Cette fête est immédiatement célébrée par ses disciples, ce jour est marqué définitivement de la meilleure nouvelle du monde et de l’histoire de l’humanité. Chaque dimanche sera l’occasion du mémorial de la messe dominicale, calqué sur un rythme longuement préparé par la tradition biblique. Le dimanche, appuyé sur la sagesse de Dieu dans la tradition et la culture des premiers chrétiens, sert d’écrin à l’actualisation de la Résurrection par l’assemblée dominicale, la liturgie de la messe. Chaque semaine, une fenêtre sur la Résurrection est ouverte dans le rythme de la vie de travail, lui donnant sa finalité : c’est toute la structure de la semaine chrétienne qui redit les merveilles de la création et du salut. C’est tout le sens de la célébration du mystère pascal( voir Le repos dominical, dans le catéchisme de l’Eglise catholique)
« Ce jour saint est en effet pour les chrétiens, a expliqué Benoît XVI, un jour de prière qui leur permet de reprendre des énergies spirituelles en soutenant leur vie par l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu, et en se nourrissant du Corps du Christ ».( angélus du 12 juilet 2009)
Les actes du Concile Vatican II explicitent cela dans un texte proposé à la méditation de l’Office des Heures ( Sacrosanctum Concilium, 106):
L’Église célèbre le mystère pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du Christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit « jour du Seigneur » ou dimanche. Ce jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, en entendant la parole de Dieu et en participant à l’Eucharistie, ils se souviennent de la passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur Jésus ; pour qu’ils rendent grâce à Dieu qui les a fait renaître, grâce à la résurrection de Jésus Christ, pour une vivante espérance. Aussi le jour dominical est-il le jour de fête primordial, qu’il faut proposer et inculquer à la piété des fidèles, de sorte qu’il devienne aussi jour de joie et de cessation du travail. Les autres célébrations, à moins qu’elles ne soient véritablement de la plus haute importance, de doivent pas l’emporter sur lui, car il est le fondement et le noyau de toute l’année liturgique.
P. Y. Bonnet