Evolution du monde du travail.
Les considérations, positives ou négatives, sur l’économie de marché ne manquent pas. On néglige souvent de préciser que l’accès à cette économie d’abondance passe, pour la majorité des habitants des pays où elle règne, par la possibilité d’entrer dans le monde du travail…et d’y rester. Or le monde du travail comporte de nombreuses exigences, auxquelles les candidats à l’emploi, c’est-à-dire les jeunes de nos écoles et de nos familles, ne sont pas toujours préparés et dont ils sont le plus souvent fort peu conscients.
Pour simplifier le propos, on retiendra quatre exigences, deux à deux complémentaires, quoique en apparence presqu’opposées. Ces quatre exigences du monde du travail ont émergé d’une part avec l’arrivée de technologies nouvelles, qui diminuent la pénibilité de nombreuses tâches, les automatisent, les rendent davantage fiables tout en accélérant les cadences, d’autre part avec une modification de la demande et de l’offre vers une plus grande flexibilité, des durées de vie des produits de plus en plus courtes, une plus grande diversité des produits. Ces évolutions apportent évidemment leur lot de contraintes, pas forécement nouvelles mais renforcées en niveau d’exigences.
Aujourd’hui, le monde du travail exige donc : rigueur et adaptibilité ; esprit d’équipe et autonomie.
Rigueur.
Impossible aujourd’hui de manquer de professionnalisme. Le client demande tout, le prix, la qualité, le service, le désign, le délai, etc…L’automatisation fait qu’un « loupé » se reproduit des miliers de fois, bloque une fabrication entière, provoque le rappel de produits déjà diffusés dans le monde entier par le biais des chaînes de diffusion rapide. La concurrence des grandes chaînes de diffusion oblige les petits à une rigueur et une réponse sur le terrain en terme de qualité et de prestation plus attratives, que l’on songe au plombier local face aux grands magasins d’électroménager et à leurs services après-vente.
Notons que cette rigueur, ce perfectionnisme, se retrouvent non seulement dans le monde du travail au sens commun du terme mais dans d’autres domaines, le spectacle ou le sport de haut niveau. Pensez au professionnalisme des changeurs de pneus de la Formule 1 : la course se gagne ou se perd, certes grâce aux pilotes, aux ingénieurs et aux techniciens, mais aussi grâce aux changeurs de pneus.
A cette rigueur, nous pouvons attribuer deux notations différentes. L’une relève de l’apprentissage, qui a dû être parfait et qui permet à l’impétrant d’être sûr de son professionnalisme. L’autre relève de l’éthique : » Non seulement je sais faire parfaitement, mais je fais effectivement parfaitement à chaque fois, car je suis consciencieux et je prends les moyens à chaque fois de réussir. »
On mesure immédiatement que l’école peut effectivement préparer à cette accessibilité à l’emploi, si elle a su et pu ancrer dans les esprits de ceux qui lui sont confiés, cette rigueur intellectuelle et cette conscience morale. Rigueur intellectuelle de l’ortographe, des accords, de la concordance des temps, des tables de multiplication, du » par coeur » sans faute…Si on ne peut être doué dans tous les domaines, on peut être rigoureux au maximum en tout et exceller dans un ou plusieurs domaines : tel sera en difficulté en grammaire mais ne fera jamais brûler un plat ! Il est important que l’école développe le respect de la rigueur et en montre les bienfaits, sans en faire un carcan sans but. Rattachons rigueur et professionnalisme dans l’esprit de nos jeunes! La conscience morale du soin apporté au travail rendu, du respect du professeur, avec tout ce que cela comporte d’humilité, de persévérance, d’opiniâtreté, de courage, prépare une vie professionnelle réussie.
Adaptibilité.
La rigueur précédente pouvait être naguère le fruit d’une spécialisation éventuellement étroite, sans qu’elle soit ordonnée à un but plus large. La vitesse à laquelle changent les techniques oblige chacun à lui adjoindre une adaptibilité, une souplesse, une capacité à changer, qui pourrait passer pour opposées à la rigueur.
Il n’en est rien car l’adaptibilité, devenue indispensable, n’empêchera pas qu’il faudra être capable d’approfondir un domaine pour y acquérir la rigueur, le professionnalisme, qui ouvrent sur l’emploi. Il faut donc apprendre à nos jeunes à joindre rigueur et adaptibilité, puisque les métiers ont souvent une durée de vie beaucoup plus courte que celle d’une carrière. La première souplesse à enseigner est celle de la préparation de la carrière professionnelle, afin que les jeunes ne s’imagient plus comme autrefois qu’ils feront un seul métier toute leur vie, mais que leur carrière comportera des étapes avec des mutations professionnelles. Voir Le projet personnel : une carrière professionnelle se prépare.
L’adaptibilité relève comme la rigueur de deux exigences différentes, l’une intellectuelle, l’autre morale. L’adaptibilité exige intellectuellement qu’au-delà d’un apprentissage ponctuel, on soit capable de tirer des leçons en termes de méthodes, de raisonnements, transposables à un autre domaine. C’est incontestablement une forme de culture, qui nous fait entrer dans l’universel et dépasser ce qui est restreint. Mais l’adaptibilité exige également une capacité à se remettre en cause, à rester toujours prêt à faire l’effort d’apprendre, à ne pas se croire arrivé.
Là encore, on voit que l’école peut préparer cette adaptibilité en dépassant la transmission d’une connaissance immédiate ( ô combien nécessaire! ) pour ouvrir aux modes de raisonnement universel, à la pensée des autres, bref à la culture.
Parrallèlement, l’école ne pourra pas se passer d’être éducatrice, d’appeler à ne pas se focaliser sur l’immédiat, sur l’examen, le diplôme ( qui se périmera ), mais à rester souple, humble, ouvert, généreux dans l’effort, disponible.
P. Y. Bonnet