Relations multiples
Toute organisation sociale, et la société moderne plus que tout autre, du fait des relations multiples qu’elle engendre, relations de subordination, relation de citoyenneté, relations administration-usager, relations clients-fournisseurs, etc, met en jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs, ce qui est inévitable. Encore faut-il que le jeu de ces pouvoirs et contre-pouvoirs ne paralyse pas l’initiative et la créativité des personnes, ne mette pas fin à la vie de cellules sociales à taille humaine, au sein desquelles les relations ne sont pas régies par des règles anonymes mais au contraire restent respectueuses des personnes.
Pour éviter la » société bloquée »
C’est la notion de subsidiarité qui va nous donner la direction qu’il faut prendre pour éviter soit » la société bloquée » soit par réaction la société anarchisante ou encore secouée en permanence par des psychodrames. Un certain libertarisme souhaiterait abolir toutes règles morales ou politiques perçues comme des contraintes insupportables, tandis que d’une autre manière, certains profitent des rigidités sociales pour déclancher des conflits » sauvages », qui peuvent détruire pour longtemps les nécessaires liens entre personnes et groupes intermédiaires. Il est donc nécessaire de fixer des règles du jeu, qui évitent tout autant les risques d’anarchie que des collectivismes autoritaires ou totalitaires. Les athéismes matérialistes, individualistes ou collectivistes, parce qu’ils se « trompent » sur l’homme commettent l’erreur de saper l’autorité ou de paralyser la liberté.
Petit historique du principe
Le principe de subsidiarité vise à reconnaître à chaque échelon hiérarchique toute l’autonomie dont il a capacité selon la formule du père Tapareli : » autant de liberté que possible, autant d’autorité que nécessaire ». Si les réflexions sur la subsidiarité remontent à l’antiquité ( Aristote, notamment), il a fallu la Renaissance pour que les principautés allemandes fassent appel au » subsidiaritätsprinzip » pour défendre leur autonomie face au pouvoir impérial. Ne nous étonnons donc pas que, plus tard au 19ème siècle, ce soit l’évêque de Mayence, Mgr Ketteler qui en ait facilité l’introduction dans la pensée sociale de l’Eglise Catholique. En 1931, Pie XI a consacré l’importance du principe en en donnant dans l’Encyclique Quadragesimo Anno un énoncé précis :
Définition du principe de subsidiarité
» On ne saurait changer ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social que de retirer aux groupements d’ordre inférieur , pour les confier à une collectivité plus vaste d’un rang plus élévé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes ».
Le texte se poursuit par cette phrase :
» L »objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. »
C’est seulement après ces deux paragraphes, qui montrent bien que l’organisation sociale doit s’élaborer sans enlever aux particuliers ni aux corps intermédiaires ce qui est de leur compétence et qu’elle doit viser à aider ses membres, sans les détruire ni les absorber, que l’encyclique aborde réalistement le cas où l’autorité publique a déjà abusé de son rôle en intervenant dans des » affaires de moindres importances ». Il faut alors qu’elle abandonne ces domaines d’intervention pour se consacrer à ce qui n’appartient qu’à elle. Et elle ajoute :
» Que les gouvernants en soient bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction de subsidiarité de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques ».
Autorité du groupe d’ordre supérieur et limites
Cette autorité du groupe d’ordre supérieur, l’encyclique en précise bien le contenu :
» Diriger, surveiller, stimuler, contenir », » selon les circonstances ou les exigences de la nécessité ».
En très peu de mots, le principe est dit. Plus un organisme se situe haut placé dans la hiérarchie sociale, moins il doit » faire » par lui-même. Son rôle est de donner la direction que doit prendre l’action, de stimuler, de contrôler, de contenir dans un cadre, élaboré en tenant compte du bien commun.
Fonctionnement du principe de subsidiarité
A chaque niveau, le groupe social considéré émet vers le » haut » ses desiderata ou ses suggestions en matière de bien commun et consulte vers le » bas » pour élaborer son bien commun spécifique. Il est clair que le bien commun d’un niveau (n) soit s’incrire hormonieusement dans l’enveloppe du bien commun du niveau supérieur ( n-1). On pourrait dire que les biens communs s’emboîtent comme des poupées russes, la plus grosse poupée représentant le bien commun de l’univers ( où se situe , par exemple, la sauvegarde de la planète Terre).
Le bien commun s’organise à partir du haut, les pouvoirs se répartissent à partir du bas
Mais dès qu’il s’agit de réaliser les opérations qui concourrent à ce bien commun, il faut regarder l’organisation sociale » par l’autre bout », en partant de la personne d’abord, ce que précise bien l’encyclique : pas question d’enlever aux particuliers les attributions dont ils sont capables. Autrement dit, si le bien commun s’organise à partir du haut, les pouvoirs se répartissent à partir du bas.
Si on décentralise les pouvoirs, c’est qu’ils ont été auparavant abusivement confisqués par des échelons supérieurs.
On voit qu le principe de subsidiarité peut et doit être appliqué en tout domaine et à tout niveau, dans la famille, dans l’école, l’entreprise, l’association, les collectivités territoriales, la nation, la construction de l’Europe, etc…
suite : autonomie, loi naturelle et subsidiarité.
P. Y. Bonnet